Une tenue ordinaire de La Boulomie
L’entrée en Loge
Les Frères et Sœurs[1] attendent devant la porte de la Loge, gardée par le Maître Couvreur. Les colonnes[2] vont se garnir au fur et à mesure des degrés. Évidemment, le local-Loge est étanche et ne laisse passer aucun signal :
· ondes électromagnétiques,
· vibrations qui pourrait perturber, manipuler le fonctionnement cérébral en particulier et physique en général,
· rythmes cérébraux susceptibles de modifier les états de conscience[3],
· ultrasons et infrasons aux si larges spectres sonores qu’ils sont inaudibles aux humains.
Les autres ondes, capables d’agir à distance sur nos corps et nos cerveaux, ne franchissent la barrière que s’ils font partie de l’environnement naturel. L’hyperconnexion est notre état mental permanent. Nous vivons dans une symbiose de données qui nous baigne sans cesse. C’est pour cela que construire un local-Loge est un travail de spécialiste. Mais il garantit la pleine liberté d’expression et de travail sur soi, sans laquelle la Voie maçonnique serait bien amputée d’une de ses finalités !
Maître Expert - « Mes Frères, mes Sœurs je vous appelle au travail. Je vous demande le silence et le recueillement.
Un temps…
Veuillez, en entrant dans la Loge, déposer tous vos métaux, argent et bijoux dans le sac aux métaux. »
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enis - Voilà une belle innovation. Avant, l’entrée solennelle ne faisait pas du tout allusion au dépouillement des métaux. Celui-ci n’était effectif qu’à l’initiation où le (la) candidat(e) en était dépourvu(e) dès le cabinet de réflexion, dans la plupart des rites. Au fond, nous avons élargi un symbole ancien qui veut que les métaux, sous un certain angle, soient maléfiques. La lecture sociale est bien connue, sinon rigoureusement appliquée. À nous de ne pas prendre des vessies pour des lanternes : la consommation, la richesse, la gloire, le pouvoir… ne bornent pas le chemin de l’initié(e). L’étalage de son argent et le travestissement par les apparences sont des leurres par lesquels nous sommes admiré(e)s et jalousé(e)s et, je crois que c’est le fond, nous avons l’impression d’être aimé(e)s. La Voie maçonnique, bien comprise et mise en œuvre, nous mène à la sagesse par d’autres chemins moins frelatés. Nous, Maçons, parlons des métaux mais leur sens social que nous venons d’évoquer, aussi vieux que l’Antiquité. En cela, nous sommes traditionnels.
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runo - C’est donc à chaque entrée que nous recommençons la quête, là où nous l’avons laissée car les métaux sont, en chacun(e), inépuisables. Je précise. Le dépouillement n’est pas encore une phrase emphatique sans traduction réelle. Le dépouillement des métaux, dans le rite de la Fraternité, c’est ça : chacun, avant d’entrer dans la Loge, sous la houlette vérificatrice du Maître Couvreur, enlève tous ses bijoux, alliance comprise et se déleste de son argent. « Mais le tronc de la Veuve ? auraient grondé les anciens, comment y verser son obole ? » La réponse est simple et logique : en sortant de la Loge.
C’est donc à chaque fois que nous enlevons nos métaux et les déposons dans le sac, en vrac – et ça, c’est important symboliquement – sous la responsabilité du Maître Trésorier. Quel plus beau symbole vécu que ce geste ! Beaucoup de Loges, aujourd’hui, pratiquent ainsi.
Une conséquence pratique et logique : pas de circulation du Tronc de la Veuve à la fin de la tenue ; pratique, car personne n’a d’argent sur lui ; logique, car les métaux n’entrent pas dans le local sacré.
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enis - Avec ce premier exemple, nous avons une démonstration de la reprise des rites sur un point : on ne se contente plus de dégoiser et de pérorer, on agit concrètement. Finis les vœux pieux de grand-papa, de chasser « l’ignorance, l’hypocrisie et le fanatisme », comme on le disait à l’élévation. Aujourd’hui, la question est devenue : « Je n’en parle pas plus que ça, mais quels sont mes comportements qui laissent aujourd’hui percer les déviances que je doive changer effectivement en moi ? S’il le faut, je demanderai à des Frères, des Sœurs s’ils en ont repérés dans mes attitudes. Et je ferai le point dans trois mois… sans hypocrisie ! ».
Maître Expert : « J’invite les Compagnons du Silence d’abord, à entrer sous la conduite du Maître des cérémonies et à saluer l’esprit du lieu par le signe de respect ».
Les Sœurs portent la robe noire et les Frères, le bourgeron de même couleur. C’est un impératif, pour vivre physiquement l’égalité.
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enis - Des Loges invoquent toujours le Grand Architecte de l’Univers, comme autrefois. Des milliers de lignes ont été écrites pour justifier la perception que leurs auteurs avaient de cette entité protoplasmique. Nous nous référons, dans les Unions, à la décision de 1877 qui laisse le choix aux Loges. Elle a ouvert, par cette liberté, la voie à la Franc-maçonnerie libérative. En vraie laïcité, cette pratique de la tolérance sociale est la plus neutre et la plus respectueuse. Quand on se rappelle les coups de boutoir portés à cette laïcité en 2025 !
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runo - C’est ce que nous avons fait. Notre Relais, qui regroupe ceux et celles du troisième degré, a mené un travail de méditation collective plus que de réflexion intellectuelle, comme on le faisait jadis. Elle a décidé d’honorer l’Esprit avec une majuscule pour signifier la dimension spirituelle, quelle que soit sa lecture, dans notre monde ou ailleurs, en minuscule quand il est particularisé dans un emploi comme dans « l’esprit du lieu ».
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enis - Et le signe de respect qui naquit, cà et là vers 1970 a, je pense, un lien étroit avec cet esprit du lieu, non ? - Il se fait, à l’entrée, devant le tableau de Loge, en inclinant le buste et en portant la main gauche sur le cœur. C’est bien sûr, l’esprit du lieu, que nous saluons. C’est la seule fois où nous nous inclinons en Loge. Nous sommes catégoriques : jamais devant un être humain ; pas de soumission !
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runo - Tout à fait. Avant, il était d’usage de s’incliner devant le Vénérable, les administratifs de l’obédience, appelés « Très Illustres ». Un apprentissage discret et fort, parce que physique, de la soumission. Alors qu’en même temps, on prônait la liberté. Écoutons la suite de l’entrée en Loge, qui est déjà surprenante : pourquoi les Compagnon(gne)s entrent-ils (elles) les premiers, et pas les Apprenti(e)s ? Elle nous réserve une surprise bouleversante, je ne te l’apprends pas.
Maître Expert - « J’invite à présent les Compagnons de l’Acacia à entrer rituellement et à rejoindre la colonne du midi ».
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enis - Tu commences, mon Frère Bruno, ou bien j’y vais en rappelant ce qu’était la structure des degrés depuis 1730, quand apparut le degré dit à l’époque de Maître ? En se rappelant que, seuls, les trois premiers degrés composent la Maçonnerie, comme l’affirmaient les Anglais, dispositif que nous avons repris.
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runo - Je préfère commencer par ce que nous faisons et qui est l’usage aujourd’hui au rite de Fraternité, dans la majorité des Unions de Loges.
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enis- D’accord. Pourquoi le Maître Expert appelle-t-il d’abord les Compagnons du Silence, puis les Compagnons de l’Acacia et, enfin, les Compagnons du Voyage ? N’y aurait-il donc en ce milieu de siècle que des seconds degrés ? Dans la fameuse tradition qui faisait autorité dans les temps jadis, c’était clair : trois degrés : Apprenti, Compagnon et Maître. Je t’écoute.
Les trois degrés de Compagnon
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runo - La Franc-maçonnerie est une école de la liberté, au moins celle de la libération ; nous en avons vu un exemple tout à l’heure. C’est aussi une école de l’égalité, conformément à la devise républicaine française que l’Ordre a adopté dans plusieurs pays. Le choix, il y a quinze, vingt ans, quand tout commença à s’effondrer dans le monde, fut d’aligner les trois degrés et ne pas les faire dépendre les uns des autres, pour vivre concrètement l’égalité prônée comme principe actif de la vie en commun et plutôt que de se contenter de dégoiser sur elle. J’ai lu des articles de 2022, là-dessus, pétris de bonnes intentions mais, à la même époque, dans plusieurs Loges, les Apprenti(e)s préparaient et servaient aux agapes. Dans cet article, l’auteure affirmait sans embarras que cela leur apprenait à obéir et à être au service. Nous en rions aujourd’hui ! Alors pourquoi trois types de Compagnons ?
On aurait pu choisir que nous soyons tous d’« éternels » Apprentis(es), comme on le dit. Mais c’était sourdement dénoncer le peu d’efficacité du parcours initiatique. On aurait pu aussi être tous, toutes, des Maîtres mais, pour des raisons expérimentales et scientifiques que je vais te laisser expliquer, nous ne le pouvions pas non plus. Alors il restait le degré de Compagnon, si pauvre avant que nous l’ayons enrichi, en héritiers d’un rite mineur en 2000, le rite opératif de Salomon. Il devint, sous le vocable de Compagnon du Voyage, le dernier degré. Et nous en sommes tous satisfaits. Le Compagnon du Silence est surtout centré sur lui, par le « connais-toi toi-même ». Il obéit à la loi de la Fraternité. Le Compagnon de l’Acacia, deuxième degré, découvre que sous les belles paroles et les nobles valeurs, sourd en nous la haine aussi. Enfin, le Compagnon du Voyage devient un missionnaire de l’amour dans le monde profane. Pour cela, il voyage et partage, le sourire aux lèvres et la main tendue ; ce qui correspond au bouleversement des valeurs sociales que nous vivons. Mais j’en ai beaucoup dit, et il y en aurait encore à préciser. Mais à toi, mon Frère, pour expliquer les motifs de fond de ce bouleversement majeur qui passe si bien maintenant…
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enis -… sauf chez les tenants de la fameuse « Tradition », paravent élégant pour qualifier la résistance au changement ; si visible quand ils justifient, par des arguments aussi mystérieux que naïfs, qu’il ne faut toucher à rien, sinon…. que c’était comme ça aux origines et que nous dénaturons tout avec nos trois degrés de Compagnon.
J’y arrive. Partons de la grande observation naturelle qui fonde toutes les initiations de passage, mais pas seulement : avancer d’un état à un autre, plus adapté au monde. Très souvent, le grand passage de X… à la vie, est la base initiatique : de la naissance à l’âge de l’indépendance. Je n’ai pas dit « adulte » au sens moderne. Renaître est un truisme mythique. De l’Australie, au Cameroun ; de Haïti au…bizutage dans les grandes écoles. Mais oui, je dis bien « bizutage », que certains(e)s de nos ancêtres, choqués(e)s, avaient fini par interdire au nom de la décence et du refus de l’humiliation. Il fallait adoucir les mœurs, disait-on, en dépouillant les initiations de leur socle organique. On l’a vu tout à l’heure : notre si timide « ni nu(e), ni vêtu(e) » fut même supprimé dans des Loges féminines, à cause de la pudibonderie bourgeoise de certaines Sœurs. Et ne surtout pas être brutal(e) dans les épreuves. Ne sommes-nous pas entre gens civilisés ? Bon, j’arrête ma diatribe et je reviens aux trois degrés de Compagnon ? Mais, Bruno, tu n’as pas expliqué pourquoi nous avons gardé la notion de trois degrés ? En trois mots, si je puis dire ?
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runo – Simple… Quand je me fais initier, c’est pour changer, et le changement n’éclate pas en une soirée ; il y faut des années et la structure maçonnique prévoit trois temps. La Voie est progressive. D’abord le Compagnon du Silence, pour un peu mieux repérer ses scénarios comportementaux les plus courants et les évaluer. Ensuite, pour aborder la complexité en soi-même et les mille contradictions inconscientes, et les accepter avec le Compagnon de l’Acacia. Enfin, plus libre, se mettre à la disposition des autres, pour le Compagnon du Voyage. C’est logique : comment aimer les autres si on ne s’aime pas soi-même ? S’accepter soi-même, en se connaissant mieux, c’est le premier devoir des deux premiers degrés. Sinon, prétendre aimer les autres c’est, dans le meilleur des cas un leurre ou souvent, hélas, c’est de l’hypocrisie aux atours vertueux. C’est ainsi que notre structure en trois degrés de Compagnon débouche sur la fraternité universelle, la finalité maîtresse de l’Ordre depuis James Anderson. Le terme même de « Compagnon ».
Est-ce que j’ai bien résumé, mon Frère ? Tu sais que les Maçons Américains avaient un usage différent : en un an, on devenait Maître, le troisième degré de l’époque. Et les tenues étaient purement cérémonielles, sans travail effectif. Pas du tout la conception de la Franc-maçonnerie libérative, de style français. Et je crois que c’est le motif principal de sa disparition. Tout était gelé depuis 1813, dans les rites de style Émulation.
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enis – Parfaitement… D’ailleurs, historiquement le degré de Maître naît en 1730 après les deux autres, d’où la tentation diabolique, pour des Maçons mâles, de mette le désir de meurtre en haut de l’échelle. Heureusement, les sciences humaines nous ont entraînés à considérer l’évolution de l’enfant de manière plus réaliste. S’aimer soi, avec ses contradictions pour, ensuite, aimer les autres. Mais on comprit assez vite à la fin du XXe siècle que le degré de Compagnon, alors deuxième, avait été en bonne partie vidé de son contenu. Nous y avons remédié, dans la lignée de Loges innovantes de l’époque.
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runo - Le terme même de Compagnon résume à lui seul tout l’intérêt de notre évolution, à notre époque où l’isolement est un problème sanitaire et social majeur. L’Apprenti bégayait, le Maître ordonnait et le Compagnon partageait et partage toujours le pain de la fraternité.
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enis - Oui ! et notre forme de Voie maçonnique a toute sa place et sa nécessité dans le monde actuel.
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runo - Avant d’approfondir le remaniement en trois degrés de Compagnon, j’aimerais que tu nous dises, Denis, pourquoi nous avons « largué » les « degrés supérieurs », les « hauts grades » et autres qualificatifs pompeux et trompeurs, qui faisaient la fierté de papier de nos anciens ; si je me souviens bien, certains étaient 95es ! Tu te rends compte !
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enis - En fait, les hauts degrés ont toujours été remis en cause depuis le XVIIIe siècle mais, la vanité aidant, le goût du pouvoir en toc, poussaient à se croire un initié supérieur, dès qu’on décochait une médaille. Écoute, je ne vais pas argumenter mieux que l’a fait notre Frère Oswald Wirth[1], critiqué pour son goût de l’occultisme mais qui, à propos de notre Voie, a écrit des lignes visionnaires. Lis donc et savoure : « Les hauts grades ont le très grave inconvénient de détourner quantité de Maçons de l’étude persévérante de la synthèse ternaire primordiale. Les hauts grades se recommandent donc aux Maçons qui aspirent à la Maîtrise, et ne savent pas s’y élever d’eux-mêmes en Chambre du Milieu. Pour leur venir en aide, l’Écossisme leur offre des cours de répétition qui ont leur valeur sans être indispensables ». Aujourd’hui, sauf de très rares exceptions, il n’y a plus que des Loges bleues, mais cela n’empêche personne d’approfondir des symboles qui lui parlent, quand il le veut, comme il le veut. Quelques exemples : l’Élu des 9, degré de vengeance ; le Royal Arch ; le Rose-Croix, le Chevalier Kadosh qui m’a bien déçu par sa platitude. J’ai une tendresse pour le Chevalier du Soleil à l’accent mystique, mais qui est peu pratiqué. Et d’autres encore, traces de la Maçonnerie anglo-saxonne. En clair, la Voie maçonnique, ce sont les trois premiers degrés, d’embrassade universelle.
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runo - Je te vois venir mon Frère… tu vas nous chanter, enthousiaste, la magnificence de la Loge bleue. Non ?
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enis - Tout à fait. Allons donc plus loin dans l’analyse scrupuleuse des trois degrés. Maintenant, emplissons nos têtes et nos cœurs d’allégresse. Nos ancêtres, dès le début du XVIIIe siècle, donnèrent des âges à chaque degré, que nous conservons comme le trésor : 3, 5 et 7 ans. Ils avaient tout deviné dans un génie intuitif qui renverse, à une époque où cette séquence n’avait aucune formalisation.
Depuis un bon siècle, les sciences humaines ont validé des milliers de fois ces trois âges : jusqu’à 3 ans pour le grand traumatisme de la naissance et pour la mise en place des structures psychiques fondamentales : amour, haine, peur, soin, loi…. 3-5 ans avec la mise en place du fameux complexe d’Œdipe et 7 ans, avec les débuts de la maîtrise des opérations cognitives et celle des relations sociales. Nos trois degrés, pile poil, et c’est proprement magnifique ! C’est ça, la fameuse tradition universelle. Le génie de nos fondateurs, dans leur lecture inconsciente et fondée pour des hommes, fut d’inclure le meurtre du père. Mais ils le placèrent, pour des raisons historiques[2], mais aussi pour des motifs psychiques, au degré de la pleine maîtrise de ses passions ; au degré de Maître.
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[1] Oswald Wirth (1860-1943) - « La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes » 1931 pp. 228 et 233.
[2] Le degré de Maître apparait pour la première fois, dans la littérature en 1730, dans « Masonry dissected » de Samuel Prichard. Mais les Frères de l’époque, obnubilés inconsciemment par leur Œdipe qui taraude 70 à 80% des garçons entre 3 et 5 ans environ, sentirent qu’ils devaient faire une place éminente au meurtre, qu’enfants ils avaient eu envie de perpétrer. D’où la création du degré de Maître qui, psychologiquement, est une degré d’aveu, de culpabilité et d’expiation. Ce degré vida de son contenu le degré de Compagnon opératif qui, depuis longtemps, avait intégré, sous forme allégorique le meurtre du père, mais sans assez de puissance pour nos aïeux. D’où la pauvreté rapiécée du deuxième degré dans la Franc-maçonnerie spéculative. Il était urgent de remettre les choses à leur place !!! Nous verrons comment.