2050 : les mutations sociales, économiques et écologiques
Pour contrer les maux de 2050…
Plusieurs auteurs croyaient, jusque dans les années 30, que les progrès faramineux des technologies feraient de leurs descendants des « Hommes augmentés ». Augmentés en quoi ? En santé, car les maladies deviendraient rares, les automates chirurgicaux répareraient tout ce qui dysfonctionnerait dans notre corps. Pour faire de nous des êtres « bioniques », augmentés en confort de vie grâce à la multitude de robots à notre service, avec une diminution de la sujétion au travail et avec, cerise sur le gâteau transhumaniste, la certitude de vivre sans souci jusqu’à 120, 130 ans. Et il en est ainsi, tout cela est notre quotidien.
Mais ces progrès (?) comme on l’aurait dit dans les temps des Lumières et de l’industrie, ont aujourd’hui des effets secondaires que les neurophysiologies ne peuvent résoudre, sauf à décérébrer l’émotionnel chez l’individu. Cet émotionnel qui, entre l’organique et le cognitif, assez accessibles, demeure plein et riche de mystères. En ce sens, l’Homme reste bien un bipède sensible. À partir des années 1950, la dépression fit assez vite son apparition et devint un facteur de plus en plus fréquent de suicides. À cette époque, la dépression était classée par l’OMS[1] comme une maladie et 9 traits comportementaux pathologiques dévoilaient la misère du dépressif, s’il (elle) en éprouvait au moins 4-5.
Aujourd’hui, nous savons que la dépression, ce fléau envahissant de notre milieu de siècle est, en fait, non point une maladie mais un syndrome ; soit un ensemble de signes cliniques et de symptômes regroupés sous le terme, facile d’usage, de dépression. Les antidépresseurs ont évolué pour les dépressions dites « résistantes », par l’utilisation de la psilocybine, de la kétamine, des cannabinoïdes, et de nouveaux composés issus de la recherche pharmacologique. Les thérapies, elles aussi, ont bien changé avec, en fond, un certain retour à la psychanalyse, si décriée depuis toujours. Les interventions chirurgicales neurophysiologiques sont parfois efficaces, mais leurs effets secondaires sont trop imprévisibles. Manifestement, au-delà des seuls facteurs individuels, nous trouvons les causes sociologiques de notre époque de milieu de siècle.
Alors quelles en sont les causes ; tu vas en lire six. Grand problème : elles sont toutes en interdépendance. On ne peut se débarrasser de l’une d’entre elles sans s’amoindrir dans les autres et commencer à se désocialiser.
• La dépersonnalisation - La conscience de la personne ne l’aide plus à se reconnaître comme un ensemble vivant, tant les algorithmes répondent, à sa place, dans quasiment toutes les situations. Tout a une réponse avec les automates, ceux de son corps physique, ceux de son environnement immédiat : se nourrir, dormir, se reproduire, bouger… La dépersonnalisation, c’est aussi la raréfaction des contacts humains qui réduisent les conflits, et c’est tant mieux, mais qui bâillonnent le bonheur de vivre, la joie de partager avec ses semblables. Alors les voilà, ces symptômes qui trouent la paix de l’âme : l’isolement, la lassitude, le désarroi, le manque de solidarité, la perte d’identité, le sentiment d’être traqué, le sentiment d’abandon… autant de germes de la dépression.
• La perte d’estime de soi - Jadis, avant le milieu du XXe siècle et sous l’influence pesante de la doctrine chrétienne avec la vertu cardinale de la charité, il n’était pas question d’affirmer que l’estime de soi était une nécessité pour connaître le bonheur. C’était dénoncé comme de l’égoïsme satanique. Aujourd’hui, et depuis une petite centaine d’années, on admet dans les courants de développement humaniste, dont notre Franc-maçonnerie et en dehors, le paradigme suivant : « Comment aimer les autres si on ne s’aime pas soi-même ? » Et pour s’aimer soi-même, faut-il encore connaître ses scénarios, ses attitudes, ses obsessions et ses générosités. C’est un certain Abraham Maslow[2] qui maintint que la réponse de la personne à cinq besoins successifs est une condition d’équilibre, de création et de joie de vivre. En quelques mots : les besoins physiques, la sécurité, les besoins d’appartenance et, avant le dernier, le besoin d’autoréalisation, la fameuse estime de soi. Le dernier est l’autoréalisation. Depuis cette époque, des expériences multiples l’ont infirmé, confirmé, mais le concept, dans son imperfection, nous est toujours indispensable. Aujourd’hui, nous sommes rongés, à cause de la robotisation à outrance, par le largage du bateau de l’estime de soi, qui nous laisse seuls, secs et sans amour, sur le quai de l’humanitude.
• L’immédiateté est notre troisième fléau - Nous attendons tout, tout de suite, pour combler nos envies : résultat combiné de la consommation, culte de l’Avoir et de nos technologies, qui ouvrent à toutes les possibilités et dépassent nos besoins réels ; immédiateté qui nous rend très impatients, souvent peu soucieux des problèmes et besoins des autres qui réclament le temps de l’écoute ; immédiateté qui nous barre le désir de projets et nous fait vivre psychiquement au jour le jour. C’est un défi pour les enjeux de longue haleine, comme notre Voie maçonnique.
• La noyade, le dernier bénéfice de notre société de mi-siècle et un de ses plus grands périls. Nous sommes en permanence connectés avec tout : du robot domestique[3] à la commande à distance de tous nos désirs d’achat ou d’utilisation, des différents réseaux. Béats ? Nous sommes sans cesse en symbiose avec ces machines qui prennent place dans nos cerveaux pour obéir ou commander. Le grand problème est de quitter le giron douillet de la symbiose.
• La crétinisation savante - Grâce à la neurophysiologie, nous avons accès à tous les savoirs mondiaux disponibles au public. Vertigineux ! Un Einstein, vingt Prix Nobel, en savaient bien moins que nous. En comparaison avec le moindre d’entre nous : des analphabètes. La matrice psychique qui se repaît de cette possibilité quasi-divine, l’attrait de l’Avoir, de « se remplir de bonnes choses », dit la psychanalyse. C’est une manipulation gigantesque à l’échelle de notre planète et au-delà. Car les opérations mentales qui sortent un peu de l’ordinaire, créent une sorte de lumpenprolétariat de l’intelligence. Citons les généralisations, les comparaisons à plusieurs termes, les choix multiples, les recherches causales, les analyses polyfactorielles, les discriminations complexes, la recherche d’arguments en liaison avec un objectif, le couplage de l’intuition, de l’imagination et des découvertes. Quant à l’intelligence émotionnelle, elle est souvent réduite à des manifestations décalées et définitives : « Ça me plaît, ça ne me plaît pas ». Le sinistre dualisme du pavé mosaïque risque de revenir. On ne dira pas « C’est tellement plus simple », mais « C’est un vrai retour à la Tradition ».
• Enfin, la contagion émotionnelle qui nous amène inexorablement à imiter ce que l’autre fait, est un monstre issu et opposé à l’émotion authentique personnelle. On est à la mode, on pleure tous ensemble à la mort d’un chanteur, on se déchaîne en hurlant hystériquement dans les stades et, au bout du compte, on vote en fonction de l’attrait des candidats, comme tout le monde. Attention la Franc-maçonnerie n’est pas à l’abri de ce conformisme social et nous devons y réfléchir. Il est des Loges où les mots d’ordre circulent souterrainement quand la majorité, heureusement, laisse à chacun le soin de réfléchir à ses choix.
Les gosses savent tout, sont ingénieux pour se brancher partout et pour faire des cursus[4], s’immergent dans des jeux dits éducatifs, des simulations aux prouesses techniques ahurissantes, pratiquent la télétransportation et invitent leurs assistants[5] sous forme d’hologrammes. Nos enfants et nous aussi, sommes gavés par des systèmes apprenants (paraît-il) qui n’ont guère changé depuis les années 2000. La majorité des MOOC sont très amusants, projectifs, attractifs, ludiques, mais n’entraînent nullement à devenir autonomes dans la relation entre les savoirs, ce qui constitue la base de l’intelligence intellectuelle.
En tant que Franc-maçon, je crois qu’il faut revenir dare-dare à Célestin Freinet[6] et à notre Frère Francisco Ferrer[7], libertaire de conviction, les deux véritables pédagogues de nos valeurs maçonniques actuelles : liberté, égalité fraternité, laïcité, tolérance, empathie, confiance, courtoisie, transparence, humilité… Pour une fois que la tradition nous revient comme un grand trésor !
Le rite de la Fraternité, de par ses caractéristiques, est susceptible de nous tirer de ces guets-apens sinistres. L’éducation n’est-elle pas un des tout premiers lieux où l’enfant apprend à devenir un humain ?Alors, c’est le comble que l’on sait depuis les années 1980, les trois ingrédients qui rendent un parcours d’éducation efficace sont l’autonomie, l’individualisation et la réactivité[8] ; et beaucoup moins la poudre aux yeux technologique, pour étincelante qu’elle soit.
Or, la Voie maçonnique rénovée est un des chemins qui peuvent nous reconnecter à nous-mêmes. L’autonomie est garantie, parce que tous les Compagnons peuvent prendre la parole sans craindre le jugement qui les rendraient méfiants. La réactivité est assurée, puisque la prise de parole est immédiate, sous condition que l’on ne s’adresse pas directement à celle (celui) qui vient de parler ; ce qui permet des échanges triangulaires non agressifs. Enfin, l’individuation découle du fait que chacun s’approprie à sa manière, en fonction de qu’il est, les valeurs humanistes de l’Ordre. Voilà pourquoi, la Voie maçonnique rénovée est, à notre époque, un outil de première qualité pour aller plus loin, vers l’idéal : aimer celui (celle) que nous sommes et redistribuer, dès que nous le pouvons, l’amour que nous nous portons à tous ceux et celles qui sont dans cette demande : tous les êtres humains.
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[1] Organisation mondiale de la santé.
[2] 1908-1970.
[3] Le Vox obéit au doigt et à l’œil…
[4] Le nom des « études » du passé.
[5] Les anciens « professeurs ».
[6] 1896-1966.
[7] 1859-1901.
[8] Ces trois exigences d’une bonne pédagogie sur ordinateur : l’autonomie, l’individualisation et la réactivité ont été découverts et vérifiés par une chercheuse, Marie-France Reinbold.