Les 8 portes
Découvre le degré de Compagnon par le voyage, le partage et le Trait
Les historiens nous apprennent que le degré de Compagnon, qui était le plus courant dans la Franc-maçonnerie opérative, fut dépouillé d’une partie de sa richesse symbolique et de ses arcanes, quand fut institué, vers 1730, le degré de Maître. Au profit de ce dernier et de celui d’Apprenti. Il resta les cinq voyages avec les outils, l’étoile flamboyante, la lettre « G » en son centre, l’âge de 5 ans, la marche et la batterie. La lettre G pour « Géométrie » ou, pour nombre d’anglo-saxons, « God » à savoir Dieu, ce qui ne saurait se concevoir dans la Maçonnerie de style français1. Daniel Beresniak nous rappelle, que dans les anciens devoirs anglais, on lit : « G », so called geometry »2. Mais Dieu étant devenu un Landmark3 pour la Grande Loge Unie Unie d’Angleterre, il finit par s’imposer facilement, au delà de nos frontières, dans la Franc-maçonnerie universelle. Nous pouvons être reconnaissants à la fidélité que nous avons entretenue : « G » est l’abréviation de « Géométrie ». Je vais, dans les lignes qui suivent, te présenter un descendant maçonnique et prometteur, de cette cinquième science des Arts libéraux. Et qui, à cause de ce rang, a contribué à faire du nombre 5, celui des Compagnons.
1 « Style français » - Voir glossaire
2 Daniel Beresniak - L’apprentissage maçonnique, une école de l’éveil - Detrad 2009.
3 Le dictionnaire de D. Ligou nous apprend qu’un « Landmark » est « Une règle constitutionnelle à laquelle il est interdit de toucher, sous peine d’irrégularité ». Et il cite Gould : « Personne ne sait ce qu’ils contiennent ou ce qu’ils excluent. Ils ne se rapportent à aucune autorité humaine, parce que tout est Landmark pour l’interlocuteur qui veut vous réduire au silence, mais rien n’est Landmark de ce qui lui barre le chemin ». Les derniers, émis par la GLUA datent de 1929. On en compte 8, fort teintés d’esprit religieux, et de volonté de domination, et qui exige notamment, dans le deuxième : « la croyance au Grand Architecte de l’Univers et en sa volonté révélée… ». Ils sont, à mon sens la raison essentielle de l’immobilisme de la Franc-maçonnerie anglo-saxonne et de son rapide déclin depuis les années 60.
La cérémonie de passage, souvent appelée d’augmentation de salaire, comprend les cinq voyages avec les outils, la découverte de l’étoile flamboyante avec le « G » en son centre, et l’instruction du grade : mots, attouchement, batterie, pas, légende… C’était effectivement bien maigre par rapport aux cérémonies d’initiation et d’élévation. Aussi Louis Amiable, en 1884, sous l’influence du positivisme, crut bon d’ajouter à chaque voyage, les cartouches. Il ne contiennent aucun message symbolique, et sont une tache ou un trou noir, le mystère en moins, dans le rituel maçonnique. Je laisse la parole à plus compétent que moi, Oswald Wirth, pour qualifier le contenu de ces cartouches : « Instructions qui seraient à leur place dans une école primaire, non dans une réunion mystérieuse, dont tous profanes et même les Apprentis maçons se trouvent écartés ». Je n’insiste pas sur cet héritage malheureux.
Aujourd’hui dans les rites de style français, le passage au degré de Compagnon est donc à la fois appauvri et boursoufflé. Il convient donc de le « dégonfler » des cartouches, et de les reléguer dans les placards de l’histoire. Il est urgent de l’enrichir, en suivant le plus possible l’esprit des arcanes maçonniques, et de conserver le noyau. Ce dernier est donc constitué de l’étoile, la lettre « G », les cinq voyages avec les outils. De plus en plus de Loges qui sentent cette maigreur, ont repris ce que pouvait être les mystères d’Eleusis, lors de l’époptie du blé. Il est courant de faire gravir, à chaque voyage, une des cinq marches de couleur. Á chaque marche, l’Expert présente physiquement, un des stades de la croissance du blé, des semailles au blé mûr. Ce rite « Vilmorin », comme le nomment avec humour, des Frères du Grand Orient de France, est vraiment bienvenu. Il retrouve tout le symbolisme de la croissance des végétaux, et salue, par là, le règne de la nature, dans ses aspects que l’on peut trouver les plus sacrés. D’autant plus précieux, que la Franc-maçonnerie, avec son double héritage : chrétien et des Lumières, verse dans l’anthropocentrisme le plus résolu, voire enfermant1.
1 Voir à ce sujet mon ouvrage : Les neuf poisons de la pensée maçonnique - Éditions de la Hutte 2011.
2 « Gabarit » - Voir glossaire.
3 C’est le Frère Jacques de la Personne, alors Grand orateur du GODF, qui mit au point le Rite opératif de Salomon, en 1973. Il devint, et reste le seul rite pratiqué dans l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal (OITAR) ; mais il vit également au Grand orient de France et dans des Loges indépendantes. Un livre raconte son histoire : Le Rite opératif de Salomon - Detrad 2015.
4 « Style français » - voir Glossaire.
Il reste donc à enrichir le degré de Compagnon avec deux obligations : celle d’être cohérent avec le degré qui le précède et celui qui le suit. En d’autres termes, la nécessité d’une même structure rituelle et symbolique. Ce que j’appelle « le gabarit maçonnique »2. Le degré de Compagnon doit être centré sur une mission, comme l’Apprenti l’est, avec la naissance et le « connais-toi toi-même » ; et comme le Maître l’est, avec le meurtre et la mort. Ce n’est pas une mince affaire ! Des essais de-ci, de-là. Mais une très belle réussite est à notre disposition, dans le confidentiel mais puissant Rite Opératif de Salomon. Je suggère aux obédiences et aux commissions rituelles nationales, d’aller étancher leur soif compagnonnique à cette fontaine, aux eaux riches et claires. Je vais donc résumer les dispositifs et les arcanes de ce degré au Rite opératif de Salomon3.
Le passage au degré de Compagnon est proche de ce qui se fait partout, dans le style français4 : 5 voyages avec les outils et, hélas !, flanqués des cartouches, contemplation de l’étoile flamboyante qui s’éclaire peu à peu grâce à un rhéostat. Le(la) candidat(e) gravit cinq marches de couleurs, dans l’ordre : noir, bleu, vert, rouge et blanc. Elles correspondent aux cinq étapes de la croissance du blé : le grain dans la terre, le blé en herbe, le blé en tige, les épis mûrs et les grains de blé, semés sur la tête de l’Apprenti accompli. Après les voyages et le blé, c’est la contemplation de l’étoile flamboyante. Enfin le gabarit est parfaitement respecté : nombre 5, âge, pas, attouchement, batterie, mots.
Un élément rituel parachève le passage ; il est original et marque bien l’esprit. C’est le partage du pain et du vin. Le rituel est alors suspendu et chacun(e) vient, dans la joie et le désordre, prendre une bouchée de bon pain, offerte par son(sa) voisin(e), et boire le vin à la coupe commune. « Compagnon » ne veut-il pas dire « avec le pain » ?
Avec ce passage, le rite lance trois missions à remplir : le voyage, le partage et le trait. Au Rite opératif de Salomon, le Compagnon ne peut devenir Maître que s’il maîtrise le métier ; en ayant accompli ces trois missions. Deux cérémonies concrétiseront cette montée en puissance : « La conduite du Compagnon exercé » et « Le retour du Compagnon fini ». Il ne s’agit pas de degrés intermédiaires, mais bien d’états de maîtrise du métier. D’ailleurs, un tout jeune Compagnon participe à ces cérémonies, qui a priori ne le concernent pas encore, puisqu’il n’a pas encore cette maîtrise.
Au bout d’un an, un an et demi environ : « La conduite du Compagnon exercé ». Qu’en est-il donc de cette conduite, comme on dit dans le compagnonnage ? Des innovations rituelles passionnantes. Juge par toi-même. Le parrain, la marraine, a choisi un nom, là aussi à la manière compagnonnique. Par exemple, je m’appelle « Andegave, Recherche et Sentiment » ; Un des mes Frères, « Mêlois, l’ami du Trait » ; une Soeur, « Parisienne de coeur, l’élan du savoir partagé » ; un autre encore, « Fassi (de Fès), la couronne de liberté ». Le Frère, la Soeur va recevoir ce nom, après qu’il a prouvé sa connaissance du tracé de la section dorée, qu’il dessine au sol, entre les colonnes. Et c’est le départ sur le tour. Il(elle) est prêt(e) à « parfaire le bon métier ». Pour cela, l’Hospitalier lui remet une canne aux rubans bleu, blanc et vert ; une besace avec quelques sous et du pain. Toujours dans le même esprit, le Compagnon dignitaire lui remet le « bref », passeport qu’il fera tamponner dans chacune de ses visites à d’autres Loges d’Apprenti et de Cayennes de Compagnons. Puis la porte lui est ouverte et il(elle) sort, nanti(e) de tous cet attirail. Il(elle) s’en va et ne reviendra pas pour la fermeture des travaux : il est parti sur le tour.
Désormais, le Compagnon exercé a, devant lui, un à deux ans pour fabriquer son chef d’oeuvre. Ce n’est pas une parole de circonstance ; il s’agit d’un vrai travail comme sculpter la canne, fabriquer une étoile, coudre une besace en cuir, tailler un niveau… Quand le Compagnon exercé se sent prêt, il présent son chef d’oeuvre au cours de la cérémonie de « retour du Compagnon fini ». Cette présentation est précédée de quatre démonstrations :
ü Entrer dans le temple au pas à vis, avec sa canne de Compagnon,
ü Tracer le pentagramme de l’infini au trait d’arc ; c’est à dire avec l’aide du compas, sur une feuille posée sur le sol, entre les colonnes.
ü Travailler sur la pierre cubique, en passant dessus le ciseau à cinq reprises.
ü Reconstituer l’étoile flamboyante à cinq branches,
ü Et, comme nous venons de le découvrir, présenter son chef d’oeuvre.
La Cayenne le déclare alors, Compagnon fini. Ce dernier a devant lui, de nouveau, quelques mois pour parfaire le métier. Á la fin de cette période, un travail symbolique lui sera demandé, pour l’accès éventuel en Chambre du Milieu.
Les tenues au 2e degré, appelées « Cayennes »1, adossées à des tenues d’instruction, permettent au Compagnon passé, exercé ou fini, de parfaire son apprentissage pour remplir ses trois missions : le voyage, le partage et le trait.
1 Au Rite français de 1785-1786, on dit : « chantier de Compagnon ». La Cayenne est dirigée par un Compagnon dignitaire, assisté de deux Appareilleurs.
D’abord le voyage. le nouveau Compagnon, dit « Compagnon passé », doit faire, dans l’année, cinq visites dans d’autres Loges de l’Ordre. Dans ma Loge, il est tenu de faire un compte-rendu de découverte et d’étonnement, devant la Cayenne. Tu devines, avec ce terme, que les innovations que je vais maintenant de rapporter, sont tout empreintes du symbolisme des compagnons du Tour de France. Et ça, ce fut la grande idée, qui imprègne l’ésotérisme de ce grade. Comme tu pourras le constater dans les mises en oeuvre de ce symbolisme dans ma Loge Phénix.
Une tenue de Loge, au degré d’Apprenti, travaille comme tu le fais toi-même dans ta Loge : un thème, une planche, des apports. Or une idée est venue en se posant la question : « Comment travailler dans une Cayenne, qui ne répète pas ce qui se fait au premier degré ? ». Voici ce qui a été décidé. Puisque le partage est une des trois missions du Compagnon, un travail opératif sera au préalable menées collectivement par tous les Compagnons, ensemble. Puis ils présenteront leur travail et leurs réflexions, à une Cayenne, en se partageant la prise de parole. Nous sommes là en pleine innovation.
Il reste une dernière innovation, qui illustre la troisième mission, le Trait. Tu as remarqué que par deux fois déjà, le Compagnon doit prouver qu’il(elle) sait manier la règle et le compas. Il sait tracer le rectangle d’or et le pentagramme. Les Loges du Territoire « Ile de France » sont allées plus loin. Un Frère a mis au point un « atelier du Trait ». Cela consiste en quatre fois deux heures d’exercices aux figures géométriques, en observant ce qui se passe en soi pendant ces tracés. Les résultats, pour les Soeurs, les Frères sont enthousiasmants. Je laisse la plume au Frère Denis, qui est le créateur et l’animateur de cet atelier, qui remue tant les têtes et les coeurs :
Faire ces tracés demande d’oublier les mathématiques que je connais ; je travaille en terme de proportions. Comme les dessins que je sais faire ; je fais du trait. Ce qui suit est, mais n’est que, le résultat d’un vécu ; donc aucune vérité derrière ces propos.
Ce travail du trait est une application de l’esprit de géométrie. L’esprit de géométrie est essentiellement, pour moi, remettre en question toute affirmation : « qui, quoi, comment, où, pourquoi ? », y compris pour nos rituels ; j’appelle ce questionnement : « faire vivre la tradition ». Ainsi le « tâtonnement », pour construire une figure, représente l’application directe de cet esprit de géométrie.
Le trait m’a permis, dans une situation donnée, à un moment donné, de :
ü rechercher l’harmonie qui est en moi,
ü approcher la signification de ce qu’est mon centre,
ü saisir ma capacité à « réunir ce qui est épars ».
J’utilise une feuille de papier vierge, qui représente mon univers du moment, un compas et une règle non graduée, en bois. Je bannis l’équerre, qui est, pour moi, un « outil de fainéant » pour le Compagnon. Sur l’univers que je viens de représenter : ma feuille de papier vierge, je vais me situer. Pour cela, je ferme les yeux, je prends mon crayon et le lève sans aucun soutien sur la table. Je le pointe sur la feuille. La trace laissée me représente. A partir de cette trace, je travaillerai chaque figure :
RECHERCHE DE MON HARMONIE
ü Le premier travail - Soit plusieurs carrés. Chacun dit lequel de ces carrés est, pour lui, le plus harmonieux et pourquoi il l’est.
ü Le deuxième travail – A l’aide du compas et de la règle non graduée, trouver le milieu d’une ligne définie. Chacun raconte comment et pourquoi il a réussi à le faire ?
ü Le troisième travail – Toujours à l’aide du compas et de la règle non graduée, en tenant compte des travaux précédents, tracer le « carré long », à partir du tracé d’un carré quelconque. Y-a-t-il eu une difficulté particulière pour trouver l’harmonie de cette figure ? Si oui, laquelle et pourquoi ? Si non, pourquoi ?
APPROCHE DE MON CENTRE
ü Le quatrième travail – Avec ce même compas et cette règle non graduée, s’appliquer à travailler en Apprenti avec le nombre « 3 » et en Compagnon avec le nombre « 5 », pour retrouver le centre d’un cercle quelconque. Où en est chacun d’entre nous dans cette recherche personnelle ? Les difficultés rencontrées pour ce tracé, me révèlent-elles « quelque chose », de et en moi ?
MA CAPACITÉ À RÉUNIR CE QUI EST ÉPARS
ü Le cinquième travail – Faire passer un cercle par 3 points posés n’importe où sur la feuille, toujours avec le compas et la règle non graduée. A partir du résultat du travail effectué, la question que chacun peut se poser : « Dois-je avoir un degré de spiritualité certain pour arriver à réunir ce qui est épars ? »
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