La cérémonie d’Initiation
Femmes, hommes, à chacun son génie
Trois cérémonies ponctuent le parcours en Loge bleue, au rite de la Fraternité de la Franc-maçonnerie libérative. C’est une constante structurelle, quelles que soient les variantes culturelles de mise en œuvre : l’initiation au degré de Compagnon du Silence[1], la réception au degré du Compagnon de l’Acacia et la réception finale au degré de Compagnon du Voyage. 7/ 8 ans, pour ceux et celles qui sont très assidus(e)s et autant d’années qu’ils le veulent pour les bagagistes.
Quant aux degrés d’approfondissement, autrefois appelés degrés « supérieurs » pour flatter la vanité de leur porteur, ils sont entièrement facultatifs et ne font pas partie d’un cursus, comme autrefois. Des rites comme le rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm comptaient jusqu’à 95 degrés ! Ce qui exacerbait les rivalités, les jalousies et les conflits. Ce qui prévaut aujourd’hui, c’est l’ancienne manière anglaise : des degrés à côté de la « vraie et pure Maçonnerie », celle de la Loge bleue. La naïveté des Maçons de l’époque leur faisait croire que les X degrés de leur rite avaient été conçus pédagogiquement. Rien n’est plus inexact. Et Jacques Fontaine, pourtant psychopédagogue, tint cette position dans ses premiers livres. Il se reprit vite et abandonna les fameux grades supérieurs qu’il détenait.
Nous allons donc commencer par l’initiation au degré de Compagnon du Silence. Comme à l’accoutumée, dans cet ouvrage, je ne relèverai, à travers le dialogue de Denis et de Bruno, que les éléments rituels qui ont changé, ont été supprimés, modifiés ou ajoutés. Tout ce qui est resté stable, du quelque rite qu’il provienne, ne sera pas abordé. C’est pourquoi des Loges, dans leurs cérémonies, dégagent un parfum de REAA, de RF, de RAPMM, de ROS, de RER… Mais comme il n’y a plus de gendarme dans l’application des rites, cela laisse la place à la liberté de l’ordre sans le pouvoir, à laquelle nous tenons tant, tous.
L’initiation est l’exemple même de la cérémonie qui n’a guère changé, tellement elle fut quasiment au point sur les fondamentaux dès le XVIIIe siècle. Laissons nos deux Frères échanger là-dessus.
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runo - Le profane rencontre trois membres de la Loge. Tout le monde ne sait pas mener un entretien. Les obédiences ont créé des guides de 3-4 pages qui sont vraiment utiles. Ils empêchent l’erreur fréquente qui consiste à poser une question avec la réponse sous-entendue, dans le genre : « Que pensez-vous de la fraternité ? » ou bien : « Croyez-vous qu’il soit utile d’avoir un sens dans sa vie ? ». Ça fait tellement plaisir d’entendre ce que l’on croit !
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enis - Rien de nouveau en effet, sauf, si je ne me trompe, la non-exigence d’un casier judiciaire vierge. Qui peut se permettre de condamner une personne qui a purgé sa peine et a peut-être, à cette occasion, appris sur elle-même ?
Après, c’est le bandeau et les questions. Certaines peuvent être idiotes, pas toutes évidemment, ce n’est guère gênant. Si le (la) profane est, à cause de cela, dégoûté(e) de la Franc-maçonnerie, qu’il (elle) s’en aille.
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runo - On laisse passer quelques mois après la réception du message audio-visuel de motivation. La discussion, en Comité d’assemblée va avoir lieu à La Boulomie. Faut-il, pendant cette attente, rester silencieux ou bien inciter le profane à poser les questions qui lui viennent en tête ? Nos Loges, dans l’Union libertaire, ont des préférences diverses. Je te dirai notre décision. Quelques-unes font un repas informel avec les Frères, les Sœurs et le profane. Nous ? non ! Mais pourquoi pas ?
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enis - Je crois que le temps est venu de faire le point, qui n’est pas une doctrine mais un choix entre les Loges monogenres et celles qui sont mixtes. Le débat fut énorme et démarra avec les Loges d’adoption, puis avec la création du Droit Humain en 1893 et celle de la Grande Loge Féminine de France en 1945-46. Avec les recherches mammalogiques et anthropologiques, les choses se sont éclaircies dans ces deux dernières décennies. Ce qui est certain, c’est que les hommes, comme les femmes, peuvent vivre avec profit l’initiation. La question est ouverte : dans une Maçonnerie faite par des hommes pour des hommes, les femmes sont-elles à l’aise ? La réponse de l’époque est bien connue : « La Franc-maçonnerie est universelle et convient sans aucun problème aux deux sexes. D’ailleurs les Loges féminines dites d’adoption, souchées quand même sur des Loges masculines, éclosent dès 1761 ».
Mais nous verrons dans la réception au Compagnon de l’Acacia, que les conceptions actuelles, plus scientifiques, moins idéologiques, font varier les réponses rituelles. Aujourd’hui, toutes nous paraissent solides mais certains choix auraient fait hurler « au machisme ! » par les Sœurs du XXe siècle. Une précaution, quand je dis « les hommes », je veux dire une majorité d’hommes et chacun à sa manière. Idem pour les femmes. Garde bien cela en tête !
Pour aller plus loin…
Ce sont les recherches sur les animaux, mammifères et oiseaux qui vont changer la donne. Elles mettent en évidence scientifique ce qui crevait les yeux, mais ce fut refusé âprement par certains féminismes. Car il y eut des sensibilités fort différentes, dont celle qui est aujourd’hui avérée, que les combats contre le machisme, le patriarcat ont eu gain de cause ; et nous allons voir que ce ne fut pas fait en quelques années.
Au départ, la nature a ses exigences pour tous les vivants : manger, se reproduire, se protéger les uns les autres, se sentir en sécurité[2]. L’Homo sapiens, comme tous les hominidés, est un animal de bande. Depuis 300 000 ans, les chasseurs cueilleurs nomades, les agriculteurs sédentaires, les modernes[3], jusqu’aux post-modernes, nos grands-parents qui ont fait s’effondrer[4] le système dans les années 30, avaient toutes les caractéristiques de certains animaux de bande. L’homo sapiens vit la même organisation de bande que les lions, les antilopes, les gorilles, les martinets, les poules à la différence des hyènes[5][6] ou des guépards : le mâle domine les femelles et la hiérarchie s’impose, qui va engendrer chez l’homo, l’organisation hiérarchique dans tous les domaines. Les femelles l’acceptent spontanément.
Depuis le début, il y a 300 000 ans, les hommes dominent donc les femmes. Mais depuis 1903[7], la conscience dont les bipèdes humains sont porteurs, et qui les distinguent des autres
animaux, les femmes refusent la domination, clamant qu’elles sont les égales de l’homme, malgré les preuves contraires de l’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours, hélas !
Mais cette rébellion, si compréhensible, repose sur un malentendu complet. Depuis 300 000 ans les mâles dominent, et ils en profitent, de la préhistoire au XXe siècle, pour aller beaucoup plus loin que la domination : une sorte d’esclavage sexuel, la soumission. Les femmes modernes refusent avec ténacité et bravoure, cette soumission. Mais, ce faisant, elles confondent soumission et domination. Notions complexes, embrouillées selon les cultures, d’assemblage unique selon les personnes. Qui pourrait, sans préjugé, remettre en cause le patrimoine génétique de 300 000 ans[8] qui prélude à la domination, en 120 ans ?
La conséquence de cette confusion ? Pour prouver leur égalité[9], des femmes vont vouloir faire comme les hommes ; au fond vivre dans les « niches » masculines : armée, police, sport… et, entre cent exemples, la Franc-maçonnerie féminine.
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runo - Alors, cela confirme ce qu’aujourd’hui, la plupart des Frères et des Sœurs admettent : il y a des différences organiques et psychiques entre les deux sexes, au-dessus de leur biologie commune qui les fait homo sapiens. Mais, et la Loge des Moires, dont je te parlerai tout à l’heure, est un exemple clair, a fait des choix maçonniques, si je puis dire, aussi puissants que les nôtres. J’aime beaucoup comme elles travaillent entre elles. Et je le comprends, car la Franc-maçonnerie a été créée par des hommes pour des hommes, dans un climat d’apaisement des conflits entre mâles anglais de l’époque. Car, je crois, les pulsions meurtrières inhérentes aux mâles sont heureusement sublimées dans plusieurs cas, notamment dans celui de la protection des siens et de ses biens. Le questionnaire du cabinet de réflexion que tu m’as montré, posait, entre autres : « Quels sont vos devoirs vis-à-vis de la patrie ? », ce qui était une manière, inconsciente de tous, de canaliser la pulsion meurtrière. Nous sommes toujours un bel exemple avec cette conversion de notre regard agressif avec notre « Centre de l’union », finalité qui n’a pas bougé depuis 1723.
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enis - Ce qui me révolte, à propos de la violence qui est abordée au deuxième degré, c’est qu’elle ait été encensée, mise en images par tous les médias de l’époque. Les films violents, si rares aujourd’hui, alléchaient les foules, alors qu’à l’époque même[10] la théorie scientifique des neurones-miroirs prouvait les fondements biologiques du conformisme social. Le spectacle de la violence incite moins, aujourd’hui peut-être, à devenir violent : bagarres, attentats, meurtres, guerres… mais l’initiation n’est pas dépourvue non plus de violence ; mais, nous allons le voir, dans le but inverse : s’en purifier.
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runo – Bon ! Si je résume, et c’est important pour notre Voie maçonnique et ce que nous en faisons depuis les années 2030, le fond des initiations est universel et touche les deux sexes : passage, rituel, sens du sacré, progression, usage d’outils, arcanes, fraternité, hétérosexualité apparente le plus souvent, mais mêlée à l’homosexualité, dans la zone profonde de chacun(e).
Mais, si je t’ai bien compris, au-dessus des données de nature, les données structurelles des sexes sont distinctes. Pour les mâles : agressivité meurtrière, recherche de plusieurs femelles[11], raisonnement dit objectif, décisions claires et nettes ; jusqu’à des dispositions physiques : temple en carré long, colonnes, chaque chose à sa place.
C’est marrant, dans nos Comités, les Frères proposent d’emblée des solutions quand les Sœurs explorent la situation. Pour les femmes, et je le vois bien avec les Sœurs, elles ont un regard circulaire intérieur avant de prendre une décision, cherchent le dialogue, vont d’un point à un autre, avec une prévalence du sentiment sur le raisonnement… Avec les caricatures qui n’ont plus guère cours, mais que j’ai lues dans les romans de jadis : « Les hommes sont grossiers, ils n’écoutent pas, ce sont des cochons… » et, en face : « Comprendre les femmes est impossible ; elles sont trop compliquées… ». Et bien justement, je vais retomber dans un poncif, mais que je crois fondateur de notre Voie : apprenons à nous découvrir Frères et Sœurs pour « nous enrichir de nos différences », comme on dit facilement. Mais ça va plus loin, hein, Denis, mon Frère ?
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enis - Oui je vais plus loin : « Vous, les Sœurs, découvrez la masculinité en vous ; et nous, les Frères, allons jusqu’à notre féminité ». Les fameux Animus et Anima de Carl Gustav Jung, déjà cité. Bien que nous ayons laissé tomber les termes masculinité et féminité, beaucoup trop connotés. Nous leur préférons, dans la Franc-maçonnerie libérative, les termes proposés par Roger Vittoz[12] : « émissif » et « réceptif ». Avec de multiples conséquences, que j’évoquerai tout à l’heure. Pour l’instant, bornons-nous à Animus et Anima.
… Cela, enfin, nous sommes en train de l’accepter, ce qui n’est pas nouveau, nous sommes en train de le vivre. Et tant mieux : ne devine-t-on pas que se sentir androgyne dans les profondeurs psychiques, est un des plus forts aboutissements de la voie sacrée ? Jean de la Croix s’écriait : « Je suis l’épousée du Ciel ».
Or le système machiste et patriarcal traîne encore à notre époque, à cause de la confusion première : car des femmes féministes, croyant abolir la soumission[13], imitent les modèles masculins : « Nous en sommes tout autant capables ! ». Hélas, elles ne font que renforcer la soumission. Ne justifient-elles pas les modèles masculins par leur imitation ? Et leur conscience, à leur insu, leur fait crier : à bas le machisme ! Songeons, dans les temps anciens à Golda Meir, à Margaret Thatcher, à Indira Gandhi qui se sont coulées dans le modèle masculin, donnant l’impression de femmes libérées.
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runo - Tu me fais gamberger, mon Frère, même si je sais bien que les choses ont bougé et continuent de l’être. Les obédiences féminines et mixtes qui acceptent l’appareillage maçonnique des Frères sont-elles les servantes, malgré leurs dénégations, de la soumission ? Je commence à mieux comprendre leur disparition progressive. Une Maria Deraismes[14] soutenue par un Frère, Georges Martin ou une Madeleine Pelletier[15] ont confirmé la soumission. Je n’ai pas fini de m’entendre traiter de vieux réac, de macho. Mais lectrices, mes Sœurs, attendez la suite, vous n’avez pas fini d’être étonnées.
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enis - Ces mouvements féminins ne sont jamais en reste pour rappeler les Amazones, les anciens matriarcats très rares, et à crier « au machisme », quand on souligne qu’elles ne font que renforcer, sans s’en rendre compte, ledit machisme. Ne vont-elles pas jusqu’à affirmer qu’elles ne sont nullement assignées à la maternité, là où les mâles voudraient les reléguer ?
D’autres mouvements féministes actuels prouvent le génie des femmes, moins meurtrières, plus tournées vers le soin, moins vers la loi, plus soucieuses de dialogue plutôt que de décider à l’emporte-pièce… Ces femmes, nombreuses maintenant, codirigent [16] des peuples et des nations. Accompagnons-les.
Avec le grand Effondrement, le génie féminin va recouvrer ses droits, en refusant avec pleine conscience la soumission aux modèles masculins. « La femme est l’avenir de l’homme », proclamait une chanson prémonitoire de 1976, de Jean Ferrat. Mais cela voudrait-il dire que la domination naturelle est inévitable ? Pourtant des femmes ont balayé la soumission et sont allées au-delà, en remettant en cause la domination elle-même, au rebours de la nature : ce que l’on appelle une protérogenèse[17]. Je pense à ces femmes à la charnière des deux siècles, comme la Sœur Louise Michel, Simone Veil et, mais c’est à discuter, Françoise Giroud, Simone de Beauvoir, pour ne citer que des Françaises. La Voie maçonnique pousserait-elle à cette protérogenèse ? Je vais te le dire : je le crois, en partie, et nous allons nous y attarder. C’est trop essentiel pour nos Sœurs, qui peuvent d’ailleurs, j’aurais dû le dire au début, vivre ces choses de manière bien différente.
Toi, Bruno, et moi, sommes des hommes et nous risquons d’avoir un penchant favorable pour tout ce qui est scientifique, analytique, rationnel… une tendance chez nous. L’utérus favorise plus le soin et la recherche intérieure et le phallus aime la loi et l’action extérieure. À nuancer sans cesse, bien sûr, mais si cela a un fond d’exactitude, les conséquences sur la vie sociale et, entre autres, sur la Voie maçonnique sont immenses.
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runo - Quand je passe en revue, dans ma tête, les trois degrés, je trouve que l’initiation est assez masculine, la réception au Compagnon de l’Acacia nettement masculine, et la réception au Compagnon du Voyage est bisexuelle.
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enis - En se rappelant ce que l’on sait depuis la fin du XXe siècle : les hommes ont beaucoup moins cette capacité à deviner et à comprendre les femmes, alors que les femmes ont cette capacité empathique naturelle à comprendre les hommes. D’un côté la Loi, de l’autre, le Soin. Sans généralisation abusive, s’entend. Les rituels peuvent varier en fonction de ces constatations. Par exemple, chez toi, à La Boulomie, quels en sont les effets ?
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runo - Nous sommes mixtes, et croyons que les femmes et les hommes sont différents et complémentaires. C’est une bien vieille chanson. Mais voici ce qui change : à La Boulomie, et un peu partout dans le rite de la Fraternité, les Frères n’ont pas imposé par domination leur rituel d’essence masculine, je devrais dire « émissive ». En revanche, les Sœurs, à la soumission, n’ont pas cédé. Le résultat ? Si nous sommes complémentaires, comme je te le disais, nous avons modifié ou ajouté des ritèmes pour rechercher, à défaut de trouver, une harmonie. Toujours dans le sens de l’ajout d’un ritème réceptif, jamais dans le sens d’un ritème supplémentaire émissif[18]. Un exemple : dans le cabinet de réflexion, avec les sentences, nous allons faire un Comité d’assemblée parce de plus en plus de Loges les abandonnent, en les trouvant trop autoritaires. Et, puisque nous en sommes à l’initiation, nous plaçons le coq chantant traditionnel, mais nous le « complétons » si je puis dire, par un cercle avec, au centre, un symbole de fœtus.
[1] La « réception », comme on disait chez les Anglais.
[2] Chasser la peur omniprésente depuis la naissance et devant les menaces naturelles ; d’où les racines de la coopération.
[3] 500 ans.
[4] Complices et/ou victimes.
[5] Les femelles dominent.
[6] Solitude.
[7] Les suffragettes anglaises.
[8] 6 millions d’années pour les premiers hominidés.
[9] Encore une confusion entre égalité et dignité.
[10] On est en 2012/2013.
[11] Polygamie encore présente.
[12] 1863-1925.
[13] La distinction, fondatrice pour les femmes, entre domination et soumission, m’a été transmise par une psychanalyste, Marie-Hélène Gonnin.
[14] 1828-1894.
[15] 1874-1939.
[16] Ce n’est pas le mot qu’elles emploieraient…
[17] Daniel Beresniak (1933–2005) qui fut le maître spirituel de Jacques Fontaine, avança que la Voie maçonnique pouvait favoriser cette protérogenèse.
[18] Denis et Bruno emploient le plus souvent « réceptif » et « émissif », pour éviter « féminin » et « masculin », a fortiori « utérin » et « phallique », qui enseignent insidieusement le dualisme et entraînent des sottises du genre : « le soleil est masculin et il éclaire la lune qui est féminine », propos entendus par des Frères comme par des Sœurs. Peu d’hommes aiment qu’on leur dise, en 2020, qu’ils sont féminins, mais acceptent d’être « réceptifs ». Les femmes ont moins de rétention d’esprit et seraient plus ouvertes.