L’Orateur et l’Hospitalier
« Frère, Sœur, en tes leurres et tes bandeaux,
Narre-moi l’enfançon que tu fus,
Avec tes cris et tes sourires dédiés.
Médite,
Les yeux cillés de vérités d’échafaud.
Rappelle-toi tes révérences
Aux potiers modeleurs
De ta gerbe de vie imprête à ta moisson.
Tu poussas et crus dans les runes délavées
Des relations ternaires.
Ton héritage génétique,
Socle hagard, réifié en Nature,
Te fournit la consistance des aventures du vivant.
Risible de déterminisme, scellé aux clous du destin,
Ton génome, bruissant comme un fantôme,
Te claqua le bec en grivoiseries maléfiques.
Notre Voie n’en peut mais.
À ce propos, elle se tait,
Sur tes gènes hérités.
Alors, les sons et les couleurs bêtasses ou criardes
Te brassent et t’insinuent la méticulosité des mondes vastes.
Paquet d’os et de lymphe, tu vis
La symbiose pertinente de tes sens.
Par eux tu accèdes au monde des alentours
Fais-les chanter en tenue. Tu le sais,
C’est une demande expresse qui ligote et libère l’initié.
Puis, ces créatures, ta mère, ton père, immenses,
Ombreuses et hilarantes ;
Elles t’encernent et te serrent dans leurs tentacules
Bien-être, chaleur, aise
Dans l’orphelinat des cris, colères et clameurs.
Jeune singe nu[1], adosse-toi au chambranle de ces yeux
Lézardés de cataractes de tendresses. »
Les deux colonnes de la vertébralité de l’hominidé vagissant ?
En brève capture, le SOIN et la LOI.
Les deux phares de ta vie future.
Nos Anciens chenus ont creusé les marécages
Et grimpé aux pics filandreux
De notre espèce, laminée par une conscience imberbe.
Inspirés par nos démons noirs et par nos elfes bleus,
En plein brouillaminis du col initiatique
Ils ont accouché, dans le sérieux des messieurs et des rires décapants,
Le bronze de l’incubation tâtonnante de l’adulte.
Ils ont osé les symboles du Soin et de la Loi.
La Loge, en tenue nous montrent, imperturbables
Ces deux pierres brutes, fondements de la vie, la Voie.:
L’Hospitalier qui se frappe le cœur, là où est le génie[2]
Des gracieusetés affectueuses : Le SOIN.
L’Orateur qui gronde, en tourbillons gelés, pour la LOI ;
Tout est dit du bonheur avec eux deux.
Mais ces deux symboles sont plus touffus qu’il n’y parait,
Loin du dualisme meurtrier :
L’Orateur, outre la Loi, son premier emblème
Frôle aussi le Soin aux ailes de sa mission,
Car la Loi nous protège des avatars puants
Des trublions et surtout de soi-même.
L’Hospitalier, lui, frôle la Loi, aux ailes de sa mission :
Le devoir de Fraternité, en obéissance due,
Est une obligation trompettée.
Que s’érige ainsi, dans le brouillard vague et chevelu,
Notre temple intérieur brinquebalant
D’où les souris[3] s’échappent dans la pagaille de la sagesse heureuse.
Dégoulinade honteuse de facilité :
Orateur, Hospitalier, c’est clair !
C’est une simplicité de nonchalance :
Tout est enchevêtré, complexe et babillard.
On invente à tout va :
« L’Orateur, la thèse, L’Hospitalier l’antithèse et le Vénérable, la synthèse ».
Pour vivre en câlineries délicieuses[4] et en pointes acérées.
Arrêtons là le ronron de l’érudition philosophale,
Profane qui nous agace de délits présomptueux,
Pour scruter, à l’horizon vert, les émotions qui transpercent
Le mur de notre raison fallacieuse.
Enracinons-nous aux émotions de l’enfant,
Notre histoire. Et descendons.
La Loi est un charançon qui trottine
Sur les crêtes de nos désertions
Garant ultime de notre soumission
Cabrée et tissée de fils de repos,
L’Orateur, en sa qualité, décide en souverain.
Dans le brouhaha confus des bavards impénitents
Glorifiés dans leur droit de musarder.
En requête du Vénérable, soumis à la LOI,
L’Orateur, baudrier et bouclier en cime de la tenue,
Est alors un sombre requin édenté.
« Pas de ça, Lisette ! » menace-t-il, pour arrêter les paroles
L’obéissance requise ferait-elle donc partie de la Voie ?
Quand, en fin de tenue, l’Orateur ramasse les cailloux
En quelques mots sans diatribes ni louanges.
Puis en un dernier cri d’apothéose,
Il se rengorge en humilité consommée :
En trois mots : « J’ai dit » qui clôt les lèvres trop gourmandes.
Rien ne peut entraver les voiles dans le vent
Je dois accepter et me taire
La Loi est référence dans la ruche vacillante, bourdonnante
Des Hommes, en soif de quête de lueurs
Dans la paix vicinale.
La Loi, sirène et gorgone,
Me chapeaute et m’enhardit
Sur les chemins balisés, dans les rouges lampions de la révolte.
La Loi pose les barbelés intimes.
Plus de blessures ; on est régulier[5] ;
Protégé par les interdits où se mirent, en complaisance tue, nos saletés.
Bref la Loi, c’est aussi, au fond, le Soin :
Fixer l’interdit et, par-là, protéger des errances.
Le Soin, porté par le Frère Hospitalier en baisers de catimini,
Ne nous frotte pas l’échine
Comme son amant l’Orateur.
Il veille et panse les blessures,
Dans la réalité des artifices d’un cœur éperdu.
Il embrasse sur la bouche mais ne viole pas
Le secret des douleurs et des poignances,
À la même gouverne que l’Orateur,
L’Hospitalier chante les limites du museau
De la mère-Loge allaitante.
« Il en faut pour les autres », clame-t-il en silence.
Car le Soin, c’est aussi la Loi :
Il secourt, rassérène, sans publicité
Jusqu’au point où serait volée
La responsabilité du quémandeur.
Dans les complicités de haut parage tintinnabulesques
L’Hospitalier recueille l’avis du Vénérable.
Sans maugréer, il timbre sa palinodie :
« Fay ce que dois advienne que pourra »
Le devoir de fraternité? Voilà notre étoile !
Dans les longs empans de notre Voie de Maçon
L’Hospitalier cadenasserait-il les Sœurs, les Frères
Assourdis de meurtrissures ?
Le mendiant ne polit-il pas sa honte dans la piécette qui tombe ?
L’Hospitalier ne guigne pas les « merci ».
Il les enveloppe, les empaquette
Dans l’égrégore, chimère du Haut Atlas embrumé ;
Ébouriffades dans la compassion, la charité et la confiance.
L’Orateur ? Il bat avec un cœur d’airain.
L’Hospitalier ? Il empathise avec le devoir résolu.
Pile et face pour l’écu d’or,
Dans les jeux fous de la conscience :
Je t’aime et je le dois pour que perdurent tes canines blanches
Éclaboussées de gratitude.
Le Vénérable, l’Orateur et l’Hospitalier,
Les trois mannequins de notre paysage, au beau salut du chemin.
Le Trois salvateur de nos girouettes agacées par la brise et la bise
Unit les serpentins intérieurs et dévolus,
Paf ! Ça coince à l’Orient, en fortes souffleries.
« Secrétaire, morne trublion de la messe maçonnique,
Descends et va te mêler aux heurts des égos,
Sur une colonne. Écoute, note sans frémir ».
« Et toi, Hospitalier, tremblant de confusion tendre,
Gravis les degrés de l’Orient.
Non, la marche n’est pas haute pour toi !
Aurais-tu le dernier mot après l’Orateur essoufflé ?
La Chambre du Milieu bourgeonnera la réponse ».
Les trois officiers, juchés sur leur cheval,
Non d’orgueil mais de rose apothéose,
Ne ratiocinent pas.
Ils incarnent, dans une fresque époustouflante
Pour les émoluments du cœur et du ciel,
Le modèle pérenne et intransigeant
De l’amour fraternel.
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[1] Le singe nu Ouvrage de Desmond Morris. 1967. Une lecture éthologique de l’homo sapiens. Fondateur.
[2] « Frappe-toi le cœur, c’est là où est le génie » Victor Hugo.
[3] « Souris » En ancien français : « Sourire ». Rien à voir avec l’abbé éponyme ;
[4] Friedrich Hegel (1770-1931) et Gottlieb Fichte (1782-1814) Amis, pardonnez-moi ce repiquage en toute dialectique.
[5] Régulier : Rien à voir avec l’éminente sottise de la régularité maçonnique.